Analyse d’une séquence de correction verbo-tonale en FLE (2)

11 avril 2014 par Philippe Mijon Laisser une réponse »

Voici la deuxième partie de l’analyse d’une séquence de correction verbo-tonale (à partir de 00:16). J’espère qu’elle vous encouragera à utiliser cette méthode. Quand on commence, on a souvent peur de mal faire et de se tromper. En verbo-tonale plus que dans n’importe quel autre domaine, il est impossible d’éviter les erreurs et les maladresses : c’est en verbo-tonalisant qu’on devient verbo-tonaliste ! N’ayez pas peur de vous tromper ! J’ai volontairement choisi une séquence où mon travail n’est pas particulièrement brillant… cela vous encouragera peut-être à vous lancer dans l’aventure !

 

Prof : OK, d’accord, alors on va continuer !

Prof : [eküt…]

Étudiante : [e…]

Rires

Les rires sont très fréquents en séance de correction phonétique verbo-tonale. Durant la première séance, surtout, c’est presque systématique : cela permet aux étudiants d’évacuer leur stress ou leur incrédulité devant une pratique un peu déroutante. Dans cet exemple, les étudiants n’en sont plus à leurs débuts ; pour eux, le rire est simplement une façon de montrer leur plaisir : le travail phonétique doit toujours rester un amusement.

Ici, on rit parce que l’étudiante a commencé à reproduire l’énoncé avant que j’aie terminé. C’est un phénomène courant : certains étudiants veulent reproduire trop vite l’énoncé et n’écoutent pas ; il suffit alors de les tranquilliser par un sourire, en ralentissant le débit, d’un geste de la main qui apaise. Dans le cas présent, l’étudiante a l’habitude de ce type de travail, elle rit parce qu’elle sait qu’elle s’est trompée. Son erreur a d’ailleurs été provoquée par ma propre production, j’ai fait une pause après « Écoute » à des fins expressives (voir plus bas), elle a donc pensé que j’avais terminé. Il suffit de reprendre normalement le travail.

Prof : [eküt/ynpɘtitmaRʃ]

Il s’agit d’une séquence assez longue constituée de deux groupes rythmiques : 2+4. J’ai volontairement allongé la durée de [küt] sur un schéma intonatif descendant pour faciliter l’audition (et donc la reproduction) de la syllabe. Je prévois en effet quelques difficultés pour l’enchaînement des 3 voyelles antérieures i/y/u avec, qui plus est, le e caduc au milieu. Le [u] est la voyelle la plus sombre : en la prononçant dans une intonation descendante, j’essaie donc de la stabiliser pour pouvoir me concentrer ensuite sur les difficultés prévues (je sais par expérience que même le [u], qui existe pourtant dans toutes les langues, sans difficulté particulière, peut tendre vers le [i] ou le [y] dans certains contextes difficiles ou en cas de surcorrection). De plus, cette exagération reste juste, elle est simplement d’une expressivité plus grande.

Étudiante : [eküt/ynpetitmaRʃ]

Prof : C’est ça !

L’énoncé est assez bien reproduit. Toujours l’importance de l’évaluation. Mais il reste que, comme prévu, certains phonèmes ne sont pas encore assez stabilisés : il me semble alors que le [y] est trop clair et tend vers le [i] : à la réécoute, je m’aperçois que je me trompe, il est bien reproduit. Le [ɘ] est lui trop sombre : l’étudiante prononce [e]. De toute façon, à mon sens, les dernières unités rythmiques pulsionnelles de base, c’est à dire les syllabes, ne sont pas assez bien articulées.

Prof : [yn-pɘ-tit]

Je choisis de travailler les 3 dernières unités en les séparant bien. La main droite ponctue ces 3 unités.

Étudiante : [yn-pe-tit]

C’est mieux, mais la reproduction reste trop approximative. L’étudiante a encore des difficultés à reproduire le e caduc, le [i] n’est pas non plus stabilisé, il est trop sombre.

Prof : C’est ça !

L’évaluation n’est pas uniquement positive afin d’encourager l’étudiante. La production, en effet, est meilleure : toujours voir le verre à moitié rempli et non l’inverse ! D’où partait-on ? Où en est-on ? C’est mieux ? Alors n’hésitons pas : disons-le lui !

Prof : [yn]

Il faut construire progressivement cette séquence difficile. Je propose d’isoler le [yn] en creux intonatif pour assombrir sa production et « trouver » le [yn]. Les gestes accompagnent cette descente : main et visage orientés vers le bas.

Étudiante : [yn]

Prof : [yn-pɘ-tit]

Je propose de nouveau le groupe de 3 unités en gardant le creux intonatif sur la première syllabe (avec les gestes associés) pour terminer sur une syllabe au contraire très montante et en relevant le visage, le haut du corps et les mains (de façon à éclaircir au maximum le [i], qui est de toute façon la voyelle la plus claire du spectre). Mais je fais une erreur. C’est la netteté des syllabes (rythme isosyllabilque du français) qui fait défaut ici. Il aurait mieux valu travailler en découpage progressif : [yn] puis [yn-pe] et enfin [yn-pe-tit]. En voulant aller trop vite, j’obtiens :

Étudiante : [yn-pɘ-tɘt]

Prof : [yn-pɘ-tit]

J’essaie de rétablir la situation en accentuant encore ma montée finale pour éclaircir au maximum le [i]… en espérant que l’étudiante ne prononce pas, comme au début, le e caduc comme un [e].

Étudiante : [yn-pɘ-tit]

Ça passe ! C’est mieux mais il faut encore éclaircir le [i].

Prof : On commence bien bas et on termine en haut, ça fait :

Prof : [yn-pɘ-tit]

J’ajoute une vague explication pour bien marquer ce mouvement ascendant qui l’aidera à prononcer correctement. Le modèle déformé est de nouveau proposé, avec tous les gestes qui l’accompagnent.

Étudiante : [yn-pɘ-tit]

Prof : Voilà, oui !

J’aurais pu alors essayer de retourner à la séquence de départ : [eküt/ynpɘtitmaRʃ]. Mais l’étudiante travaille maintenant depuis suffisamment de temps, il est nécessaire de passer à quelqu’un d’autre. D’autre part, le risque est grand qu’en reproposant ce long énoncé les erreurs de départ ne reviennent ; ce serait en tout cas normal, vu où nous en sommes du travail. Mieux vaut en rester à cette étape intermédiaire qui est une réussite. Je reviendrai à elle quand les autres auront également travaillé et qu’elle distinguera donc mieux, grâce aux productions de collègues, la séquence à répéter.

À cet égard, je vous invite à regarder l’étudiante qui est à son côté. Durant la séquence, elle répète mentalement tous les énoncés à reproduire (sa bouche les articule) en les accompagnant même parfois de micro gestes qui imitent les miens : regard vers le sol qui se relève, etc. C’est le temps du travail passif, l’effort inconscient de l’étudiant qui assiste aux efforts des autres : ce temps est d’une grande importance lors d’une séance de verbo-tonale. Lorsque l’étudiante commencera à s’exercer avec moi, elle aura déjà travaillé puisqu’elle aura déjà répété mentalement l’énoncé plusieurs fois.

Prof : [eküt/ynpɘtit]

Étudiante 2 : [eküt/ynpɘtit]

Prof : C’est un peu… et puis là… c’est… on commence… ça fait… :

Prof : [yn-pɘ-tit]

Je dois reconnaître que l’explication verbale qui précède la proposition de l’énoncé à reproduire est absolument incompréhensible !! Preuve, s’il en est, qu’il faut de toute façon éviter toute intellectualisation durant ces séances ! De plus, le problème n’est pas tant que les voyelles sont trop sombres ou trop claires mais que les syllabes ne sont pas assez nettes. Je me trompe donc encore : il aurait fallu proposer un modèle pour travailler le rythme isosyllabique.

Étudiante 2 : [eküt/yn…pɘ…tit]

Mais l’étudiante, qui a donc déjà travaillé quand la première répétait le même énoncé, reproduit finalement assez correctement l’énoncé, même si le rythme est heurté.

Prof : Exactement, c’est ça ! Après on accélère, mais c’est ça !

Vous voyez, grâce à cette courte analyse, que le travail en séance est très rapide. Une des difficultés est qu’il faut, en temps réel, diagnostiquer les erreurs, choisir celles que nous allons travailler, choisir les outils de remédiation et évaluer la production finale. C’est une partie de ping-pong entre vous et l’étudiant, et vous devrez travailler vos automatismes, accumuler de l’expérience, pour offrir des séances de correction phonétique verbo-tonale dynamiques, qui répondent au maximum à chaque individualité, à chaque difficulté, à chaque erreur.

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2 commentaires

  1. freland dit :

    super ! ça me rappelle ce que j’ai fait pendant 20 ans ! j’accompagnais mes paroles de plus de gestes que les étudiants connaissaient et devaient reproduire et puis on faisait ces activités debout en marchant dans la salle, je trouvais que debout ils appréhendaient mieux la prosodie.

  2. Philippe dit :

    Tout à fait d’accord ! Pour travailler la prosodie, mieux vaut être debout. Régine Llorca propose d’ailleurs beaucoup d’activités en ce sens. Je le fais quand c’est possible, ce qui n’est pas toujours le cas…

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