L’acquisition des modes d’interaction par l’approche actionnelle en FLE

6 avril 2010 par Philippe Mijon Laisser une réponse »

En didactique des langues, Ch. Puren a pu dire que nous vivions une période «d’éclectisme éclairé». Éclectisme ? Certainement, il suffit de parler avec n’importe quel professeur de FLE pour comprendre que chacun « bricole » pour organiser ses cours, en piochant ici ou là ce qui l’intéresse et lui paraît pertinent. Il faut rappeler ici qu’en didactique un changement méthodologique n’éclipse pas les méthodologies précédentes et qu’aujourd’hui, bien loin d’être dans une approche actionnelle « pure et dure », toutes les méthodologies (traditionnelle, directe, active, audiovisuelle, communicative et actionnelle) coexistent. Quant au caractère « éclairé » de cet éclectisme, cela reste à discuter. Praticiens de la classe, nous avons parfois (souvent ?) le sentiment de naviguer à vue et notre enseignement peut manquer de logique et de cohérence.

Il n’est pas inutile de revenir à une définition de la didactique. Celle-ci est la discipline, fonctionnant en interface entre pratique et réflexion théorique, qui vise à sélectionner et organiser à la fois des contenus d’une discipline en vue d’un apprentissage et des moyens destinés à faciliter cet apprentissage. L’objectif, le point fixe sur l’horizon qui sert à nous orienter reste donc : quelle est la meilleure manière de faire pour que les étudiants apprennent la langue ? Immédiatement, on le voit, se pose la question : quelle langue ? au sens de : apprendre à faire quoi dans cette langue ? Toutes les évolutions dans l’histoire des méthodologies peuvent s’expliquer par l’évolution des besoins sociaux (Puren). En Europe du moins, la principale préoccupation de l’apprentissage des langues dans les années 80 était de faciliter nos voyages : parler une langue, c’était essentiellement s’informer et informer dans cette langue ; à cet objectif a correspondu l’approche communicative. Depuis le milieu des années 90, apprendre une langue ne se limite plus à cet objectif. Aujourd’hui que l’intégration européenne s’accélère, qu’il est indispensable que des personnes de nationalités différentes travaillent ensemble, que des étudiants font une partie de leur cursus universitaire à l’étranger, nous avons besoin de pouvoir agir et interagir dans la langue seconde.

Comment faire pour que cet apprentissage se fasse dans les meilleures conditions possibles ? Ici, Krashen nous apporte un premier éclaircissement en distinguant l’apprentissage de l’acquisition. Si, pour lui, la langue maternelle s’acquiert implicitement, naturellement et inconsciemment, la langue seconde s’apprend explicitement, volontairement et consciemment. Krashen reformule finalement la théorie qui veut qu’on acquière sa langue maternelle par immersion linguistique. Ce qui est beaucoup plus original et, d’une certaine manière beaucoup plus préoccupant, c’est que pour Krashen il n’y a pas de passage de l’apprentissage à l’acquisition : il n’est donc pas possible d’utiliser d’une manière fluide et courante une langue apprise généralement en milieu institutionnel (mais les deux types, acquisition et apprentissage, peuvent coexister ou alterner). Alors, comment faire pour viser l’acquisition en didactique des langues ?

C’est, semble-t-il, tout le pari de l’approche actionnelle. Celle-ci « considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier » (CECRL, 2001). Trois composants indispensables : un acteur, une tâche (ou un projet) et le facteur social. L’apprenant est donc un acteur : il agit et interagit (il n’est plus seulement un « communicant »). L’apprentissage se fait par et pour la résolution de la tâche (ou du projet ou encore de la situation problème) : c’est à la fois son moteur et son objectif. Enfin, la dimension sociale de l’approche actionnelle est capitale car elle place l’apprenant dans « le faire avec et pour autrui ». L’approche actionnelle réunit ainsi donc les conditions nécessaires à la communication authentique (F. Weiss) qui facilite par définition l’acquisition (voir mon article précédent).

B. Py, dans un article de la revue AILE en 2000, a étudié la communication exolingue et mis en évidence la séquence potentiellement acquisitionnelle (SPA). Il montre que la SPA correspond au moment où le non-natif reprend à son compte la reformulation du natif (ce qui souvent n’arrive pas, le non-natif se concentrant sur le sens et non sur la forme : conflit procédural qui l’oblige à choisir ce qui lui semble « le plus important » sur l’instant). En d’autres termes, il y a acquisition uniquement quand l’apprenant est sensible à la forme. Mais s’arrêter là et le prendre comme un invariant revient à dire que nous ne pouvons pas faire grand-chose s’il ne l’est pas… Bien sûr, l’acquisition ou même l’apprentissage d’une langue étrangère dépend toujours in fine de l’apprenant lui-même. Cependant, notre rôle en tant que formateur n’est-il pas précisément de faciliter cet acquisition/apprentissage au-delà des velléités plus ou grandes de l’étudiant ? Il me semble que la reprise de reformulation par le non-natif est plus fréquente quand, précédemment à la reformulation par le natif, celui-ci exprime une incompréhension : c’est implicitement montrer à l’autre que la forme n’est pas seulement accessoire mais qu’elle permet justement ce sur quoi son attention se porte exclusivement, c’est à dire le sens. En classe, c’est un procédé auquel j’ai souvent recours. Il faut cependant que l’étudiant croie réellement que le professeur n’a pas compris la production de l’élève et qu’il n’est pas en train de « chipoter », auquel cas l’étudiant n’y accordera aucune importance. Cette incompréhension doit se faire apparemment sur le mode de la communication authentique et non sur celui de la communication didactique (F. Weiss). Cela demande au professeur de « faire l’acteur » mais c’est presque par définition sa seconde nature…

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...
Publicité

2 commentaires

  1. stéphane dit :

    Je suis moi aussi professeur de fle. Un jour, lors de la prononciation d’un « discours d’adieu » (la tâche en train d’être réalisée), une étudiante m’a surnommé « le prof qui ne comprend pas ce qu’on dit »…il y avait de la malice dans ces mots, et j’y ai entendu une forme de remerciement, peut-être pour mon exigence sur la qualité de la production orale (sur le fond…et la forme).Votre article, surtout le dernier paragraphe, confirme mon intuition -et la sienne. Merci pour la qualité de votre blog, que je découvre, il est très instructif.

  2. Philippe dit :

    On ne dira jamais assez l’importance de l’intuition ! Et pourtant, on en parle assez peu je trouve… Merci de votre commentaire.

Laisser un commentaire

En savoir plus sur FLE Philippe Mijon

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading