S’il y a bien quelque chose que je déteste dans mon métier, c’est de donner des notes. Non pas que je veuille me la jouer « prof sympathique et pris dans les nuages du sacerdoce ». Non, non. C’est simplement que j’ai horreur de me retrouver face à deux feuilles terribles : à droite la copie de l’étudiant et à gauche la grille d’évaluation. Ces fameuses grilles d’évaluation qui sont toujours plus longues, au fil des ans, au motif qu’elles sont toujours plus précises. Bien sûr, c’est exactement le contraire : vagues dans leur excès d’exactitude, il est absolument impossible de les remplir.
Un avantage cependant : elles permettent de justifier des notes au dixième de point près, ce qui fait très professionnel : un 6,70/10, ça en met plein la vue comparé à un 6,50/10 ou même à un 7/10 qui semble carrément suspect (mais a-t-il seulement pris le temps de noter, ce professeur, ou prend-t-il sa tâche par dessus la jambe ?).
Attaquant mes corrections, je me retrouve aussitôt à faire des comptes d’apothicaire, ce dont j’ai parfaitement horreur. Car mes calculs terminés, les sous-sections additionnées entre elles, je découvre invariablement sur ma calculatrice une note qui ne correspond pas du tout à celle que j’attendais. Me voilà donc parti pour corriger le résultat auquel je suis parvenu, rognant un demi-point là, ajoutant trois quarts de point ici, afin d’atteindre la note que je m’étais proposée d’attribuer avant ces fichus calculs.
En regardant mon paquet de copies corrigées, au lieu d’afficher un sourire satisfait devant la tâche accomplie, je commence à douter : les premières copies ont-elles été notées de la même façon que les suivantes ? Allons, vite ! Examinons tout ça minutieusement, quelques ajustements seront sans doute nécessaires ! Et après ? me direz-vous, le travail est enfin terminé !? Que nenni ! Je pense maintenant aux copies immédiatement corrigées après celles qui sont excellentes : elles souffrent toujours d’une comparaison qui les handicape. Et voici donc le dernier round de relecture !
Entendons-nous : je déteste noter mais pas du tout évaluer. Je prends d’ailleurs beaucoup de plaisir et de temps à écrire sur chaque copie, à destination de leur auteur, les qualités et les défauts du travail fourni. Voilà mon travail, me dis-je, voilà où je peux continuer à les aider, s’ils lisent soigneusement et comprennent ce que je leur dis. Pour le reste, au lieu de passer des heures à noter et calculer comme un misérable, au lieu de la fameuse note, je me contenterais volontiers d’une liste d’expressions, pour moi amplement suffisante, qui irait du « Très bien ! » pour aller à l’ « Insuffisant » voire au péremptoire « Aucun travail ! », en passant par le « Bien », l’ « Assez bien » et le « Juste ! ».
Mais, bon soldat consciencieux, je fournis invariablement mes notes –en maudissant dans ma barbe les inventeurs des grilles d’évaluation !