La mémorisation ou la communication imitée dans l’apprentissage

15 septembre 2010 par Philippe Mijon Laisser une réponse »

En pédagogie, l’accent a été mis depuis les années 70 sur la compréhension de la matière enseignée. Nous sortions alors de décennies où l’objectif des professeurs se résumait à faire mémoriser des tables de multiplication, des verbes, du lexique, etc. : c’était transformer les étudiants en perroquets sans cervelle. Pour mieux mémoriser (c’est à dire pour mieux encoder l’information afin de mieux la retrouver), il est donc devenu évident qu’il fallait comprendre ce qu’on mémorisait. Grâce à la méthode inductive, on a même invité les apprenants à formuler par eux-mêmes une description de la matière et à construire ainsi leur savoir.

Le problème, comme toujours, est qu’on est passé d’un extrême à un autre. Depuis 40 ans, plus beaucoup de professeurs exigent de leurs étudiants qu’ils mémorisent par cœur –caractéristique de la communication imitée selon Weiss (1984). D’abord c’est stupide (idée largement répandue, le dernier argument en la matière est qu’Internet mettant tout à notre disposition, il suffit de consulter le web) ; ensuite, évidemment, c’est du travail, donc trop fatigant (on pourra revenir une autre fois sur la notion d’effort, elle aussi totalement rétrograde et donc discréditée) ; enfin la compréhension de la matière est supposée suffire à elle seule et opère la mémorisation par l’action du Saint-Esprit. Un peu comme si on imaginait qu’un acteur allait pouvoir apprendre un texte par sa seule compréhension : vous avez bien compris le personnage de Thésée ? sa dynamique ? pourquoi il dit ceci à tel moment ? les différents mouvements du monologue ? Oui ? Vraiment ? Alors parfait ! Montez sur les planches, vous pouvez commencer la représentation !

Ce défaut de mémorisation a eu des conséquences désastreuses en FLE, notamment pour la phonétique. En Espagne, les anciennes générations (50 ans et plus) ont généralement une bonne prononciation en français. Pourquoi ? Tout simplement parce que le professeur faisait alors mémoriser et réciter (et parfois ânonner, disons le mot) des textes, poèmes, chansons, comptines. Des dizaines d’années plus tard, ils sont souvent capables de les redire à leur plus grand bonheur. Les plus jeunes générations n’ont absolument RIEN mémorisé. Ils n’ont aucun schéma mélodique en tête qu’ils auraient appris par cœur, c’est à dire qui leur appartienne, et qu’ils pourraient décliner lors de leurs productions. Car savoir par cœur, c’est s’approprier la chose. Avoir mémorisé quelques phrases d’un texte qu’on aime est un immense plaisir : on peut se le réciter à soi-même à n’importe quel moment et dans n’importe quelle situation, en secret, car ce texte est à nous.

La phonétique n’est pas un cas isolé : on pourrait dire la même chose de toutes les composantes linguistiques : formes verbales, lexique, syntaxe, etc. Le problème est qu’exiger un minimum de mémorisation fait « vieille école ». Il ne s’agit bien évidemment pas de revenir à nos tableaux noirs, nos uniformes et nos coups de règles sur les doigts. Il suffirait simplement de remettre le balancier, parti une première fois dans un sens puis une deuxième dans le sens opposé, à son juste milieu. Apprendre, ce n’est pas comprendre ; apprendre, c’est faire l’effort de mémoriser ce qu’on a compris.

Weiss, F. (1984) «Types de communication et activités communicatives en classe», Le Français dans le monde, n° 183, pp. 47-51.

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2 commentaires

  1. Jennie dit :

    WOW!!!! Philippe je suis 100 pour 100 du meme avis que toi sur la valeur de la mémorisation des dialogues, poèmes ou chansons lorsqu’on apprend une langue étrangère. J’ai appris l’Anglais et l’Espagnol au college et au lycée, mais j’avoue que de l’Espagnol j’ai gardé de beaux souvenirs de la langue grace à ces chansons et dialogues memorisés car j’ai eu une religieuse Espagnole comme prof qui adorait non seulement sa langue maternelle mais aussi la musique. Des années après, je suis encore capable de me rappeler tel ou tel mot, telle ou telle regle de grammaire parce que j’ai encore en mémoire la chanson ou le dialogue appris qui faisaient référence à ces éléments. Philippe je vais terminer mon commentaire par ce petit dialogue très sympa:
    Un passant qui apercoit un gamin entrain de pleurer à chaudes larmes dans la rue:
    Le passant: por qué estas llorando?
    Le gamin: porque he perdido mi 25 pesetas..
    Le passant lui remet 25 pesetas afin qu’il se calme, mais le gamin se remet à pleurer encore plus fort.
    Le passant: Por qué estas llorando?
    Le gamin: Porque si no habia perdido mi 25 pesetas, ahora tendria 50 pesetas.
    Belle histoire pour retenir la concordance des temps avec  »si ».
    (impossible de mettre les accents et les cedilles ou il faut avec mon clavier QWERTY)

  2. Philippe dit :

    C’est amusant, ça me fait penser au dialogue d’Archipel :
    Le Monsieur : Qu’est-ce que tu as ? Pourquoi tu pleures ?
    L’enfant : j’ai perdu ma maman.
    etc.

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