L’approche actionnelle: faiblesse du cadre théorique ?

20 avril 2010 par Philippe Mijon Laisser une réponse »

Vygotsky a développé l’idée qu’il existe une zone, dans l’apprentissage, qui sépare ce qu’on peut faire seul de ce qu’on ne peut faire qu’avec l’aide d’un expert/professeur : la zone de proche développement (ZPD). L’approche actionnelle a en quelque sorte récupéré ce concept pour en faire l’une de ses bases : il est nécessaire de proposer aux étudiants des tâches qui ne soient ni trop faciles ni trop loin de leurs compétences pour favoriser leur apprentissage. Mais, outre le fait que la ZPD ne peut être qu’individuelle et ne s’applique pas au groupe-classe, il est difficile de dire à quoi elle correspond. Qu’est-elle exactement ? La ZPD est certainement utile pour comprendre le mécanisme d’apprentissage, mais, dans les faits, comment peut-on définir précisément et pour chaque apprenant cette ZPD sinon par empirisme et tâtonnements ? Or il me semble qu’on fait généralement comme si la ZPD allait de soi et que c’est une façon bien pratique de résoudre d’un tournemain le problème de la planification des objectifs et celui de la progression dans l’apprentissage. Depuis toujours, au moins depuis très longtemps, ces problèmes trouvaient leurs solutions et propositions grâce aux travaux de spécialistes qui y consacraient leurs recherches. En 1950, par exemple, le Français Fondamental proposait une liste de mots et d’indications grammaticales qui avait été le fruit de plusieurs années de recherches ; toutes les méthodologies qui ont depuis proposé des contenus et des progressions particulières ont été l’aboutissement du travail de nombreux chercheurs ; chaque méthode, proposée sur le marché, élabore à sa manière une organisation des curriculums et est le résultat de plusieurs collaborateurs n’ayant pas compté leur temps. Aujourd’hui, c’est au seul professeur d’en décider en fonction notamment de la ZPD de ses apprenants. J.-C. Chiss a raison quand il souligne (« Réflexions à partir de la notion de tâche : langage, action et didactique des langue », j’ai perdu les références, désolé !) que la « polarisation sur la tâche […] est un indice de la crise de l’organisation curriculaire » et qu’elle « est largement lié[e] à la contestation de la progression ».

De la même façon qu’on a pu critiquer la conception de l’autonomie du CRAPEL qui prévoit un apprenant endossant non seulement son rôle d’apprenant mais aussi celui de professeur, l’approche actionnelle ne charge-t-elle pas trop la barque à vouloir un professeur, non seulement professeur, mais aussi concepteur de méthodes travaillant, qui plus est, en pédagogies différenciées ? Ce professeur-médiateur-facilitateur-accompagnateur idéal, maniant avec compétence et habileté l’ensemble des tenants et des aboutissants de la didactique du FLE, capable de choisir, parmi les recherches, les contenus et la progression adéquats en fonction des objectifs et de la ZPD de ses apprenants, fabricant ses propres documents et activités, et qui s’adapte constamment aux obstacles, qui ne manqueront pas, pour ajuster en temps réel sa démarche à la situation : n’est-ce pas plutôt un vœu pieu qu’autre chose ? On comprend bien tout le parti qu’on peut tirer de la conception d’un professeur multitâche, mais s’il doit, en partenariat avec les musiciens, répéter avec chacun d’entre eux, diriger l’orchestre, accorder les instruments, proposer une organisation spatiale, faire les photocopies des partitions, et en plus écrire la musique sur les bases de théories de la composition musicale, j’ai bien peur qu’il soit aussi difficile à trouver qu’un chameau en Alaska… Dans le meilleur des cas, même un professeur motivé et travailleur risquera de perdre peu à peu la ligne d’horizon.

Pour résumer, le principal problème que peut poser l’approche actionnelle est son défaut d’architecture théorique : non pas qu’elle fasse fi des théories, au contraire, elle les récupère presque toutes serait-on tenté de dire, mais dans cet éclectisme théorique, rien ne semble plus la structurer. Car si la théorie constructiviste fonde l’approche actionnelle, elle pose dans la pratique plus de problèmes qu’elle n’en résout, le processus cognitif restant encore un grand mystère. Aussi l’élément structurant de l’approche n’est-il plus une théorie mais le praticien lui-même. Celui-ci se retrouve certes libéré des carcans trop étroits de la théorie mais que vaut une approche qui trouve paradoxalement son unité dans la multiplication de ses interprétations ? A l’éclectisme de la pratique répond l’éclectisme théorique et le second vient presque légitimer le premier. Dans un sens, si on ne craignait pas la provocation, on pourrait dire : heureusement qu’il y a les programmes à boucler pour donner, en termes de contenus et de progression, un semblant de colonne vertébrale à l’apprentissage !…

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