Analyse d’une séquence de correction verbo-tonale en FLE (1)

7 février 2014 par Philippe Mijon Laisser une réponse »

Aujourd’hui et la prochaine fois, je vous propose d’analyser la première minute d’une séance de correction phonétique verbo-tonale. Cela vous permettra de voir un peu à quoi ressemble ce type de séance. Vous verrez aussi que, même avec de nombreuses heures de pratique, on tâtonne ou on se trompe parfois ! –cela vous encouragera, j’espère, à vous lancer dans l’aventure, sans craindre trop vos propres approximations, surtout au début.

Comme souvent, j’utilise ici les dialogues d’Archipel, que j’ai d’ailleurs proposé dans un autre post.

 

 

Prof : …et il essaie de la convaincre et il lui dit : 

Prof : [savatfɛRdybjɛ̃]

Étudiant : [savat… savatɘfɛRdybjɛ̃]

Ici, l’étudiant s’arrête après avoir reproduit les deux premières unités et recommence. C’est normal. La mémoire sollicitée est la mémoire de travail ou à court terme : c’est avant tout une mémoire phonique mais elle est très vite saturée (3/4 unités c’est-à-dire 3/4 syllabes) et très volatile (1,5 seconde). Or ici l’énoncé à reproduire est de 5 syllabes.

Mais le problème est que l’étudiant a rétabli le e caduc que j’avais supprimé. On peut supposer qu’ayant des difficultés à mémoriser les 5 unités, il recompose intellectuellement l’énoncé qu’il a parfaitement compris (il a un niveau B1) : il lit mentalement ; c’est l’un des effets du conflit procédural : production de sens versus production de son. L’étudiant qui ne peut pas traiter ces deux composantes simultanément revient en terrain connu : il se concentre sur la production de sens au détriment de la composante sonore, dont il n’a au fond que faire. Le problème est que, lisant mentalement l’énoncé, il se trompe sur le nombre d’unités à reproduire.

J’aurais pu choisir de travailler les phonèmes, mais je vous rappelle que la prosodie est primordiale et qu’elle est, selon l’expression consacrée, le moule dans lequel se réalisent les phonèmes. Avant de me lancer dans le travail des éléments segmentaux, il faut donc m’assurer que les éléments prosodiques (ici, le nombre d’unités du groupe rythmique) sont stabilisés.

Prof : [savat]

Je choisis de travailler en découpage intermédiaire de façon à éponger l’émergence du e caduc. J’isole aussi visuellement ce groupe, avec un mouvement de la main qui balaie vers la gauche. Ici, j’aurais aussi bien pu décider d’utiliser un autre instrument et de travailler en logatome, par exemple.

Étudiant : [savat]

Aucune difficulté pour l’étudiant.

Prof : [fɛR]

Deuxième partie de l’énoncé. Visuellement, j’isole cette fois ce groupe d’un mouvement de la main droite qui balaie vers la droite.

Étudiant : [fɛR]

L’étudiant ne rencontre pas non plus ici de difficulté.

Prof : [savat/fɛR]

Il reste à réunir les deux groupes. Ici, on ne me voit malheureusement pas, mais je propose l’énoncé de départ en continuant à associer chaque groupe à un mouvement de mains et en y incluant une légère pause pour ne pas que le e caduc réapparaisse.

Étudiant : [savatfɛR]

L’étudiant a éliminé le e caduc dans sa reproduction de l’énoncé. Ici, le travail est rapide. C’est que l’étudiant a déjà été sensibilisé à ce phénomène : ce n’est pas la première fois qu’il travaille, en séance de correction phonétique, ce point particulier. Le plus souvent, surtout au début, il est nécessaire d’augmenter assez grandement la pause (pour la diminuer ensuite petit à petit) entre les deux groupes afin de s’assurer que le e caduc ne revienne pas.

Prof : [savatfɛRdybjɛ̃]

Je peux même me permettre de lui proposer à nouveau l’énoncé de départ en supprimant la pause et en diminuant les gestes associés. L’essentiel est qu’il garde en tête l’existence de deux groupes : savat/fɛR

Étudiant : [savatfɛRdybjɛ̃]

Ici, l’étudiant, fort de son expérience passée en séance de phonétique, reproduit bien l’énoncé. Ce n’était pas gagné d’avance, il aurait très bien pu réintroduire le e caduc. Cette dernière étape me permet aussi de voir où nous en sommes dans la progression.

Prof : OK, c’est ça, c’est ça…

Toujours penser à évaluer positivement le travail de l’étudiant par un geste, un sourire et/ou verbalement.

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14 commentaires

  1. Vincent dit :

    Bonjour Monsieur Mijon,
    Enseignant de Francais Langue étrangère depuis quelques années et novice en remédiation verbo-tonale et articulatoire j´aimerais savoir si il vous serez possible de me faire partager votre savoir pour une remédiation du son an et du r chez un apprenant anglophone/ créolophone. Le an est prononcé avec le n sonore et le r comme un w.
    Je vous remercie pour votre aide et votre site très riche en information qui me donne envie de me spécialiser dans ce domaine. Bien à vous
    V.

  2. Philippe dit :

    Bonjour,
    Les anglophones ont habituellement un problème de tension à l’heure de parler en français. C’est ce qui arrive à votre étudiante. Un [R] prononcé comme la semi-voyelle [w] n’est pas assez tendu. Comment le tendre ? Vous pouvez procéder de différentes manières :
    – essayez de placer ce son à l’attaque d’un énoncé (puisque les consonnes en début d’énoncé sont perçues plus tendues) : pensez aux découpages régressifs et intermédiaires.
    – vous pouvez essayer une prononciation nuancée en « hypertendant » le [R] pour aller en direction de la jota espagnole par exemple.
    – parler en chuchotant tend toutes les consonnes de l’énoncé (puisqu’il n’y a pas de perte d’énergie par la vibration des cordes vocales).
    – pensez à bien travailler le rythme isosyllabique (toutes les syllabes sont prononcées avec la même énergie en français, au contraire de l’anglais qui présente des « poches d’énergie » libérées sur les syllabes accentuées). Un manque d’énergie temporaire dû à ce problème est peut-être responsable de la production de la semi-voyelle.
    – l’environnement syllabique peut être facilitant : plus la voyelle qui suit la consonne est claire, plus elle aura tendance à la tendre (faites donc suivre le [R] de [i] par exemple).
    – enfin et surtout : pensez à bien veiller que l’étudiante ait le corps tendu au moment du travail phonétique (position droite, tête relevée, épaules bien placées, tonicité générale, etc.). Vous pouvez renforcer cette tension en lui faisant serrer les poings par exemple (ne lui dites pas de serrer les poings : tâchez de le faire vous même pour qu’elle vous imite ensuite). Parfois, on a souvent tendance à l’oublier, ce travail sur le corps suffit à tendre correctement des consonnes qui étaient trop relâchées !

    Quant à la nasale prononcée avec un [n] en position finale, c’est une erreur assez classique : c’est une « bonne » erreur, elle prouve que votre étudiante a compris et entendu que ce son est nasal. Je vous conseille juste d’allonger ce son et de lui faire allonger : elle produira en principe le son correctement et verra qu’il n’y a pas de [n] à la fin !

    Bon courage !

  3. Vincent dit :

    Merci M.Mijon pour votre aide.
    Vos conseils me sont précieux vraiment.
    Je pense que toutes vos indications vont m´être d´une aide précieuse.
    V.

  4. Vincent dit :

    Monsieur Mijon,

    Pour la représentation phonétique du son r c´est le [R] ou celui qui est à l´envers?
    Merci à vous
    Vincent

  5. Martin D dit :

    Bonsoir monsieur Mijon

    Vous semblez être compétent en matière de phonétique FLE pour apprenants espagnols. Pouvez-vous suggérer une ou des technique(s) pour réussir à faire prononcer correctement par des espagnols la séquence [gʁ] (telle qu’elle apparaît par exemple dans les mots grenade ou grenouille) ? Plus généralement, dans certains mots qui contiennent à la fois un [g] et un [ʁ], même lorsqu’ils ne sont pas immédiatement l’un derrière l’autre, le son [g] est prononcé par certain(e)s espagnol(e)s comme une fricative au lieu d’occlusive. Ce problème peut se poser y compris lorsque le [g] est suivi de la voyelle « a », contrevenant donc dans ce cas à la règle de prononciation de la langue espagnole (en plus de la règle française), ce qui m’étonne.

    Merci d’avance pour votre réponse.

    Salutations

  6. En français, c’est [R].

  7. Bonjour Martin,
    Tout d’abord, désolé de vous répondre un peu tard, entre les fêtes de fin d’année et la grippe, je n’ai pas eu beaucoup de temps à moi.
    Les hispanophones ont souvent beaucoup de difficultés à reproduire la séquence -GR-.
    Ils reproduisent d’abord une constrictive vélaire sonore notée [ɣ] et non l’occlusive [g], tout simplement parce que c’est ce phonème qui existe en espagnol (crible phonologique) : agua. Or une constrictive est par définition plus relâchée qu’une occlusive, Il faut donc dans ce cas la tendre avec tous les moyens disponibles (position à l’attaque, phonétique combinatoire, tension corporelle, etc.). Personnellement, j’utilise beaucoup la prononciation nuancée en hypertendant le [g] pour aller vers le [k] et les résultats sont en général assez bons.
    D’un autre côté, les apprenants de français ont tous tendance a trop tendre le [R] français (quand ils ne prononcent pas un r roulé, dans ce cas le point d’articulation n’est pas correct), il faut donc le relâcher. Toute la difficulté consiste donc à tendre puis relâcher dans une séquence très courte -GR-. Beaucoup de profs s’arrachent les cheveux sur cette séquence !
    Si l’étudiant prononce un r roulé, essayez de prononcer à la place du [R] une jota espagnole la constrictive vélaire sourde [X] puis essayez de la relâcher (la jota espagnole est plus tendue que le [R]). Vous pouvez placer un léger [a] ou un un petit e caduc entre le [g] et le [R]. On peut aussi travailler en prononciation nuancée et proposer la semi-voyelle [w] à la place de [R].
    Parfois il est nécessaire d’escamoter complètement le [R] dans la séquence !
    Les optimum de correction pourront donc être : [kaXənuj] ou [kawənuj] carrément [kənuj].
    Attention, pour la prononciation nuancée, il ne s’agit pas exactement de remplacer un son par un autre mais d’évaluer la nature de l’écart par rapport au modèle pour opérer une déformation, un « nuancement » dans le sens opposé !
    N’oubliez pas de montrer corporellement à l’étudiant que la tension est maximale à l’attaque puis soudainement pratiquement nulle.
    J’espère que c’est assez clair, n’hésitez pas à me demander des informations supplémentaires si ce n’est pas le cas !

  8. Alice dit :

    Bonjour,
    Je suis prof des écoles et enseigne le français aux nouveaux arrivants du CP au CM2. J’utilise l’ouvrage Phonétique progressive du français (CLE International). Mais je ne suis pas spécifiquement formée à la correction verbo-tonale. Quels conseils me donneriez-vous pour le faire et approfondir ainsi ma pratique ? Pouvez-vous me conseiller un ouvrage ?
    Merci d’avance.

  9. Jean Ronald JEAN BAPTISTE dit :

    Bonjour Mr,
    J´aimerais savoir pour quoi les apprenants anglophones/créolophones prononcent le son [ɛ̃ ] pour [iŋ ] et le son [ ə] pour [ e].
    Et comment remedier ses erreurs.
    Bien à vous.
    Jean Ronald

  10. Bonjour,
    Le livre de P. Intravaia, Formation des professeurs de langue en phonétique corrective, Édition CIPA. Mais cette méthode se transmet essentiellement en présentiel car elle se montre. Je vous conseille les séminaires de formation en verbo-tonale organisés par l’Université de Mons (le dernier s’est déroulé à Padoue, voyez mon post du 6 mars dernier). Si vous vous intéressez à la verbo-tonale, allez sur le site web de Pietro Intravaia : c’est un incontournable !

  11. Bonjour,
    J’ai assez peu d’expérience avec le public anglophone. Êtes-vous certain qu’ils prononcent le son [ɛ̃] pour [iŋ] ? ce n’est pas plutôt le contraire ? tendance à produire [ɛ̃ŋ] au lieu de [ɛ̃] ? Si c’est le cas (ce qui me semble plus cohérent pour des anglophones), c’est qu’il y a un excès de tension Essayez simplement de leur faire allonger la nasale : ils n’auront plus beaucoup d’énergie pour ajouter un [ŋ] à la fin. Pensez aussi à proposer ce son dans une position favorable, c’est à dire, ici, avec un anglophone, en position finale (« J’en suis certain », « c’est un dauphin », etc.)
    La production d’un [ə] pour [e] peut être due, pour un anglophone, non à un problème au niveau segmental (les phonèmes) mais supra-segmental (la prosodie). Pensez que le système prosodique de l’anglais est presque l’exact opposé du français. Votre apprenant ne respecte peut-être pas le rythme isosyllabique du français (toutes les syllabes se valent et se prononcent avec la même énergie et netteté) et suit celui de sa langue maternelle : en anglais, certaines syllabes absorbent pratiquement toute l’énergie et les autres n’en ont pratiquement plus pour elles-mêmes, ce qui fait que la voyelle de ces dernières tend à aller vers le e caduc. Vérifiez que le [e] mal prononcé n’est pas placé, dans la production de l’apprenant, dans une syllabe atone et sans énergie. Si c’est le cas, il faut rétablir le rythme isosyllabique. Travaillez par exemple en découpages progressifs qui souligne la syllabation ouverte du français et aide à stabiliser les voyelles. Ce simple exercice vous permettra peut-être (même sans doute, avec un locuteur anglophone) à résoudre ce problème. Si cela ne marche pas, laissez un nouveau commentaire, on verra ce qu’on peut faire ! 🙂

  12. malak dit :

    bonjour,
    je suis en train de faire une petite recherche sur la phonétique corrective; les principes théoriques de chaque méthodes sont bien claires mais j’arrive toujours pas à différencier les méthodologies mises en pratique pour chacune. Par exemple, en observant votre démarche je trouve que c’est à quoi ressemblerait une séance adoptant la méthode de l’audition (reproduction) des modèle. Sinon, est-ce la pratique de la verbo-tonale n’exige pas forcément les appareils mesurant les fréquence et l’intensité …?
    Pourriez-vous Monsieur m’expliquer la différence entre ces deux méthodes ainsi que les différentes façons avec lesquelles on peut exercer la correction phonétique via la méthode verbo-tonal ?
    Désolée d’avoir posé plusieurs questions et merci par avance!

  13. Bonjour Malak,
    L’appareil que vous mentionnez est le SUVAG ; il est utilisé pour rééduquer l’audition des malentendants en profitant des fréquences qui sont toujours distinguées par la personne. N’oublions surtout pas que la méthode verbo-tonale était à l’origine destinée à la rééducation des malentendants ; ce n’est qu’ensuite qu’elle a été adaptée pour l’enseignement des langues étrangères. Cet instrument ne s’utilise pas, que je sache, dans le cadre de l’apprentissage des langues.
    Pour la méthode verbe-tonale, en effet, audition et prononciation ne sont pas séparées : elle sont nécessairement liées (c’est ce qui la distingue, notamment de la méthode articulatoire).
    Quant à la méthode en elle-même, je vous invite à lire les articles que j’ai publiés sur ce blog : j’essaie d’y exposer le plus simplement les grands principes de la verbe-tonale. 😉

  14. malak dit :

    Bonjour,
    Je vous remercie infiniment monsieur.

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