Une cyberquête FLE sur les langues régionales en France

24 novembre 2010 par Philippe Mijon 2 commentaires »

Projets pédagogiques utilisant les ressources d’Internet, les cyberquêtes présentent l’avantage de permettre aux apprenants de travailler en semi-autonomie et s’inscrivent parfaitement dans la perspective actionnelle : il s’agit de résoudre une situation problème. Une cyberquête est une activité coopérative. Les étudiants doivent : 1. trouver des réponses à une suite de questions et atteindre un but défini, 2. traiter de l’information sur Internet, 3. jouer des rôles différents dans une équipe de travail. Pour peu que le sujet soit intéressant, cette activité pédagogique est très motivante.

Préparer une cyberquête demande un peu de temps : il faut naviguer durant de longues heures sur Internet pour compiler des ressources suffisantes et pertinentes, définir des pré requis, des objectifs d’apprentissage, prévoir un scénario, des phases de prolongement et d’objectivisation, des grilles d’évaluation, etc. (le site du NTIC vous propose un guide de préparation à la cyberquête qui résume en une douzaine de pages tout ce que vous devez savoir sur la question). D’un autre côté, une fois que c’est fait, comme pour toute autre activité pédagogique, vous pourrez la réutiliser ad nauseam !

Avant de lancer votre activité et afin d’éviter les problèmes durant son déroulement, je vous conseille de vérifier que tous les liens renvoyant vers les sites internet fonctionnent correctement !

Vous trouverez de nombreuses cyberquêtes sur le web (les Québécois sont des spécialistes en la matière, un de leurs sites recense et met à la disposition de tous des centaines de scénarios). Aujourd’hui, je vous propose une cyberquête préparée pour des étudiants adultes de niveau B1+ et qui aborde le problème de la disparition des langues régionales en France. Elle est plutôt destinée aux apprenants espagnols qui ont parfois du mal à comprendre à quel point la réalité linguistique est différente en France et en Espagne. Elle se propose également d’introduire la technique de la synthèse.

Je serais heureux de lire vos commentaires pour pouvoir l’améliorer !

Cyberquête FLE sur les langues régionales en France

Je déteste donner des notes !

10 novembre 2010 par Philippe Mijon 4 commentaires »

S’il y a bien quelque chose que je déteste dans mon métier, c’est de donner des notes. Non pas que je veuille me la jouer « prof sympathique et pris dans les nuages du sacerdoce ». Non, non. C’est simplement que j’ai horreur de me retrouver face à deux feuilles terribles : à droite la copie de l’étudiant et à gauche la grille d’évaluation. Ces fameuses grilles d’évaluation qui sont toujours plus longues, au fil des ans, au motif qu’elles sont toujours plus précises. Bien sûr, c’est exactement le contraire : vagues dans leur excès d’exactitude, il est absolument impossible de les remplir.

Un avantage cependant : elles permettent de justifier des notes au dixième de point près, ce qui fait très professionnel : un 6,70/10, ça en met plein la vue comparé à un 6,50/10 ou même à un 7/10 qui semble carrément suspect (mais a-t-il seulement pris le temps de noter, ce professeur, ou prend-t-il sa tâche par dessus la jambe ?).

Attaquant mes corrections, je me retrouve aussitôt à faire des comptes d’apothicaire, ce dont j’ai parfaitement horreur. Car mes calculs terminés, les sous-sections additionnées entre elles, je découvre invariablement sur ma calculatrice une note qui ne correspond pas du tout à celle que j’attendais. Me voilà donc parti pour corriger le résultat auquel je suis parvenu, rognant un demi-point là, ajoutant trois quarts de point ici, afin d’atteindre la note que je m’étais proposée d’attribuer avant ces fichus calculs.

En regardant mon paquet de copies corrigées, au lieu d’afficher un sourire satisfait devant la tâche accomplie, je commence à douter : les premières copies ont-elles été notées de la même façon que les suivantes ? Allons, vite ! Examinons tout ça minutieusement, quelques ajustements seront sans doute nécessaires ! Et après ? me direz-vous, le travail est enfin terminé !? Que nenni ! Je pense maintenant aux copies immédiatement corrigées après celles qui sont excellentes : elles souffrent toujours d’une comparaison qui les handicape. Et voici donc le dernier round de relecture !

Entendons-nous : je déteste noter mais pas du tout évaluer. Je prends d’ailleurs beaucoup de plaisir et de temps à écrire sur chaque copie, à destination de leur auteur, les qualités et les défauts du travail fourni. Voilà mon travail, me dis-je, voilà où je peux continuer à les aider, s’ils lisent soigneusement et comprennent ce que je leur dis. Pour le reste, au lieu de passer des heures à noter et calculer comme un misérable, au lieu de la fameuse note, je me contenterais volontiers d’une liste d’expressions, pour moi amplement suffisante, qui irait du « Très bien ! » pour aller à l’ « Insuffisant » voire au péremptoire « Aucun travail ! », en passant par le « Bien », l’ « Assez bien » et le « Juste ! ».

Mais, bon soldat consciencieux, je fournis invariablement mes notes –en maudissant dans ma barbe les inventeurs des grilles d’évaluation !

Le poids des croyances dans une séance de correction phonétique

27 octobre 2010 par Philippe Mijon 3 commentaires »

Je voudrais revenir sur une séquence de classe qui m’a décidément marqué puisque j’en ai déjà parlé (voyez, avant de continuer la lecture, la description et analyse de cette séquence). Il y a quelques années, à l’occasion de mon Master 2 à Vichy (dont le but était de nous faire adopter une attitude critique vis-à-vis de nos propres pratiques de classe), j’avais déjà pu l’étudier d’un point de vue anthropologique, c’est à dire du point de vue des croyances de l’enseignant. Voici les résultats de la problématisation auxquels nous étions arrivés :

La méthodologie verbo-tonale (V-T) est-elle valable pour l’apprentissage de la phonétique ? S’adresse-t-elle à tous les types d’étudiants ? Est-elle capable de répondre au profil de n’importe quel apprenant ?
Sais-je utiliser exactement cette méthodologie, tous les outils qu’elle propose, ou bien me faut-t-il mieux la maîtriser ? Une certaine routine (habitude d’un public homogène du point de vue de la langue maternelle et de l’âge, etc.) ne m’a-t-elle pas empêché de répondre à une situation « hors-norme » ?

En d’autres termes, avec cette étudiante, suis-je en « situation d’échec », c’est à dire que j’ignore posséder des outils pour travailler avec elle et l’aider à progresser ? Ou bien suis-je simplement en « difficulté », c’est à dire que j’ai des outils mais que je ne sais pas lesquels utiliser ?

J’ai bien évidemment des outils. Sans même parler de la méthodologie V-T, une plus grande flexibilité, une plus grande patience m’auraient déjà permis de ne pas installer notre travail (à M. et à moi) dans un cercle vicieux d’où il était difficile de sortir. Si, par expérience, je sais que l’immense majorité des étudiants commencent à progresser après une dizaine d’heures de cours, il est finalement normal que certains aient un rythme plus lent, voire beaucoup plus lent. –je pense à l’expérience d’un professeur ayant en classe une Cambodgienne qui n’a absolument rien dit en classe durant la première année (même pas en langue maternelle), et qui l’année suivante n’arrêtait pas de parler. Si cette étudiante avait été étiquetée (« elle ne parle pas, on ne va pas s’en sortir, il n’y a rien à en tirer »), elle n’aurait sûrement pas plus ouvert la bouche la deuxième année.

Quant à la méthodologie, il me semble m’y être fié aveuglément et avoir finalement fait preuve d’assez peu de créativité. J’aurais pu par exemple proposer de travailler en utilisant plus le corps –debout, en marchant…- et cela, même si les contraintes spatiales ne le facilitaient pas (salle petite) et même si, en principe, ce travail corporel associé à la phonétique n’est qu’optionnel. Ce type d’activité aurait peut-être été profitable à M.

Au-delà d’un grand nombre de croyances (croyance en l’évaluation constante de l’étudiant, croyance que je maîtrise parfaitement la technique V-T alors que je m’en suis peut-être écarté insensiblement et qu’il faudrait revoir les « fondamentaux »… ), deux grandes croyances se font jour :

  • Croyance en la méthodologie V-T comme étant une technique pouvant répondre à tout (toutes les situations, tous les étudiants). Être un enthousiaste convaincu de cette méthode, qui donne souvent des résultats spectaculaires, m’a peut-être conduit à un aveuglement. La méthode V-T : la panacée ?
  • Croyance que les rythmes d’apprentissage, au-delà d’une marge « généreusement » accordée par moi à chaque apprenant, sont constants ; je me révèle assez intolérant si ce rythme est plus lent que la moyenne.

Deux pistes :

  • Adopter une position critique vis à vis de la méthodologie V-T, ne pas hésiter à l’« améliorer » en innovant, en essayant de nouveaux outils, de nouvelles manières de faire, qui parfois ne fonctionneront pas mais qui d’autres fois me permettront d’agrandir ma boîte à outils ; l’associer à d’autres méthodologies ? si oui : lesquelles ?
  • Reconsidérer ma position vis à vis du rythme d’apprentissage : qu’est-ce que progresser ? est-ce visible pour tous et de la même façon ? Comment fonctionne la période de latence ?

La phonétique de Dominique Abry et Julie Veldeman-Abry

13 octobre 2010 par Philippe Mijon 4 commentaires »

Il existe sur le marché trop peu d’ouvrages qui permettent au professeur de FLE d’aborder la phonétique en classe pour qu’on oublie de signaler La phonétique de Dominique Abry et Julie Veldeman-Abry*. Titre qui appartient à la collection Techniques et pratiques de classe, La phonétique est divisé en deux parties.

En 65 pages, les auteurs dressent d’abord un panorama général de la phonétique du français d’aujourd’hui qui a le double mérite d’être bref et juste : prosodie, phonèmes, règles de syllabation, problèmes des correspondances entre le code écrit et le code oral, méthodes de corrections existantes, etc. : tout ce que le phonéticien débutant doit connaître pour commencer à travailler avec ses étudiants s’y trouve. Car cette méthode s’adresse à tous les professeurs FLE : à ceux, trop rares, déjà formés à la phonétique et pouvant s’appuyer sur une solide expérience en la matière, aussi bien qu’aux néophytes, qui sont pléthore. C’est qu’en effet les auteurs veulent remédier à ce qu’ils déplorent avec raison dans leur introduction : la phonétique « a toujours été manipulée […] du bout des lèvres tant elle semble inaccessible, scientifiquement réservée à une élite et « pas si utile que ça » ».

La deuxième partie présente des fiches pédagogiques prêtes à l’emploi grâce auxquelles on peut travailler le rythme, l’accent tonique, l’accent d’insistance, l’intonation, distinguer des voyelles en fonction de leur degré d’aperture, les voyelles nasales, etc. ou étudier, d’une manière plus originale, l’enchaînement, la liaison, et les consonnes géminées. Il faut reconnaître que c’est bien fait et pratique. Cela ne remplace pas des séances de phonétique verbo-tonale mais c’est un excellent complément. Ces fiches permettent de traiter un point précis de la problématique qui est forcément abordé de façon plus diffuse durant une séance de verbo-tonale.

On pourra regretter que la connaissance de l’alphabet phonétique international par les apprenants est souvent un pré requis pour les activités, ce qui est toujours un handicap : la connaissance d’un tel alphabet suppose justement qu’on distingue les phonèmes de la langue… Soit les apprenants savent utiliser cet alphabet pour la description ou leur propre mémorisation de formes orales et dans ce cas ces activités de phonétiques sont inutiles. Soit les étudiants ne distinguent pas encore les unités minimales de son et recourir à cet alphabet n’a pas de sens

Des niveaux sont attribués à chaque activité en fonction des impératifs du CECR. En attribuant le niveau A1 aux fiches abordant la prosodie, les auteurs ont le mérite de rappeler que celle-ci est absolument capitale à l’heure d’aborder la phonétique de n’importe quelle langue car elle est le moule (la supra-segmentation) dans lequel se fondent les phonèmes (les éléments segmentaux). Trop de professeurs considèrent encore la phonétique comme de simples exercices de distinction de paires minimales et passent à côté du rythme, de l’accent, de l’intonation, des pauses. Néanmoins, cette nomenclature est presque toujours discutable : en phonétique, on peut pratiquement tout travailler dès les premiers niveaux et revoir des connaissances supposées de base ne fait absolument pas de mal à de nombreux étudiants de niveau avancé !

Une bonne bibliographie générale en fin d’ouvrage dans laquelle il faut cependant noter un oubli énorme, celui du livre de Pietro Intravaia : Formation des professeurs de langue en phonétique corrective. Ça, c’est peu pardonnable !

* La phonétique, Dominique Abry et Julie Veldeman-Abry, CLE International, 2007

La mémorisation ou la communication imitée dans l’apprentissage

15 septembre 2010 par Philippe Mijon 7 commentaires »

En pédagogie, l’accent a été mis depuis les années 70 sur la compréhension de la matière enseignée. Nous sortions alors de décennies où l’objectif des professeurs se résumait à faire mémoriser des tables de multiplication, des verbes, du lexique, etc. : c’était transformer les étudiants en perroquets sans cervelle. Pour mieux mémoriser (c’est à dire pour mieux encoder l’information afin de mieux la retrouver), il est donc devenu évident qu’il fallait comprendre ce qu’on mémorisait. Grâce à la méthode inductive, on a même invité les apprenants à formuler par eux-mêmes une description de la matière et à construire ainsi leur savoir.

Le problème, comme toujours, est qu’on est passé d’un extrême à un autre. Depuis 40 ans, plus beaucoup de professeurs exigent de leurs étudiants qu’ils mémorisent par cœur –caractéristique de la communication imitée selon Weiss (1984). D’abord c’est stupide (idée largement répandue, le dernier argument en la matière est qu’Internet mettant tout à notre disposition, il suffit de consulter le web) ; ensuite, évidemment, c’est du travail, donc trop fatigant (on pourra revenir une autre fois sur la notion d’effort, elle aussi totalement rétrograde et donc discréditée) ; enfin la compréhension de la matière est supposée suffire à elle seule et opère la mémorisation par l’action du Saint-Esprit. Un peu comme si on imaginait qu’un acteur allait pouvoir apprendre un texte par sa seule compréhension : vous avez bien compris le personnage de Thésée ? sa dynamique ? pourquoi il dit ceci à tel moment ? les différents mouvements du monologue ? Oui ? Vraiment ? Alors parfait ! Montez sur les planches, vous pouvez commencer la représentation !

Ce défaut de mémorisation a eu des conséquences désastreuses en FLE, notamment pour la phonétique. En Espagne, les anciennes générations (50 ans et plus) ont généralement une bonne prononciation en français. Pourquoi ? Tout simplement parce que le professeur faisait alors mémoriser et réciter (et parfois ânonner, disons le mot) des textes, poèmes, chansons, comptines. Des dizaines d’années plus tard, ils sont souvent capables de les redire à leur plus grand bonheur. Les plus jeunes générations n’ont absolument RIEN mémorisé. Ils n’ont aucun schéma mélodique en tête qu’ils auraient appris par cœur, c’est à dire qui leur appartienne, et qu’ils pourraient décliner lors de leurs productions. Car savoir par cœur, c’est s’approprier la chose. Avoir mémorisé quelques phrases d’un texte qu’on aime est un immense plaisir : on peut se le réciter à soi-même à n’importe quel moment et dans n’importe quelle situation, en secret, car ce texte est à nous.

La phonétique n’est pas un cas isolé : on pourrait dire la même chose de toutes les composantes linguistiques : formes verbales, lexique, syntaxe, etc. Le problème est qu’exiger un minimum de mémorisation fait « vieille école ». Il ne s’agit bien évidemment pas de revenir à nos tableaux noirs, nos uniformes et nos coups de règles sur les doigts. Il suffirait simplement de remettre le balancier, parti une première fois dans un sens puis une deuxième dans le sens opposé, à son juste milieu. Apprendre, ce n’est pas comprendre ; apprendre, c’est faire l’effort de mémoriser ce qu’on a compris.

Weiss, F. (1984) «Types de communication et activités communicatives en classe», Le Français dans le monde, n° 183, pp. 47-51.

Le Diplôme de Compétence en Langue

29 juin 2010 par Philippe Mijon 4 commentaires »

Mais quelle est donc cette certification qui consiste à réaliser une tâche ? C’est sur cet énorme mystère que je vous avais quitté voici deux semaines.

Eh bien ce diplôme s’appelle le Diplôme de Compétence en Langue (DCL). Diplôme de l’Education nationale réservé aux adultes, le DCL est né en 1996 « d’un besoin exprimé auprès des GRETA et des Centres de Formation des Universités par des entreprises à la recherche d’un outil fiable garantissant une compétence opérationnelle à un niveau donné ».

L’épreuve dure trois heures durant lesquelles le candidat doit réaliser successivement différentes tâches –suivant le fil d’un scénario défini par les concepteurs- et résoudre une étude de cas. La grande originalité du DCL : l’épreuve est la même pour tout le monde, quel que soit son niveau. En fonction de ses performances, le candidat se verra attribuer un degré entre 1 et 5 (ces degrés correspondent aux niveaux du CECR allant du A2 et au C2).

Chaque scénario prévoit cinq phases. Les deux premières consistent à recueillir des informations à partir de documents écrits (Phase I) et de documents enregistrés (Phase II). Le candidat recueille ensuite des informations manquantes à partir d’un entretien téléphonique avec un interlocuteur durant la Phase III (durée : 10 mn). En Phase IV, il rédige une fiche de prise de notes pour une présentation-argumentation (rédaction de la fiche : 20 mn ; entretien : 20 mn). Enfin, durant la Phase V, il rédige un rapport (durée : 40 mn).

Toutes les compétences (expressions orale/écrite, compréhensions orale/écrite ET l’interaction, compétence complètement oubliée par les Delf/Dalf) sont directement ou indirectement évaluées mais seules les tâches des trois dernières phases sont notées. En effet, pour que le candidat soit capable de les réaliser, il est indispensable qu’il ait compris les documents en Phases I et II. De plus, proposer des questions de compréhension orale et écrite serait pour le moins absurde puisqu’elles seraient identiques à tous les niveaux.

Durant la Phase III, il n’y a qu’un seul examinateur mais l’entretien téléphonique est enregistré. En Phases IV et V, il y a deux examinateurs : un pour la dimension pragmatique, un autre pour la dimension linguistique.

Tout le monde repart donc avec une performance validée et chacun a accès à l’évaluation pour connaître exactement ses points forts et ses failles (différence avec le Delf/Dalf qui permet uniquement aux candidats ayant échoué de consulter leurs grilles d’évaluation).

Cette certification existe en anglais, espagnol, italien et allemand. Elle n’existe pas en français langue étrangère puisqu’elle est destinée a priori à des étudiants français. Enfin, elle coûte 69 euros (à rapprocher de la tarification carrément prohibitive du Delf/Dalf : de 79 € pour le A2 à 182 € pour le C2 en Espagne, par exemple).

Pourquoi le CIEP ne s’est-il pas inspiré de cette certification qui avait fait ses preuves depuis 9 ans déjà à la date de la refonte du Delf/Dalf ? Mystère et boule de gomme. Toujours est-il qu’on n’a pas fait mieux jusqu’à aujourd’hui pour mesurer les capacités d’un candidat à réaliser une tâche en langue étrangère.

Sur ce je vous retrouve en septembre prochain et vous souhaite à tous un très bel été !

Diplôme de Compétence en Langue

La farce du DELF/DALF

14 juin 2010 par Philippe Mijon 69 commentaires »

Époque oblige, voici le temps des certifications !

Depuis septembre 2005, les diplômes de langue française (DELF et DALF), proposés par les Ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et préparés par le Centre International d’Etudes pédagogiques (CIEP), sont harmonisés sur l’échelle à 6 niveaux du Cadre européen commun de référence pour les langues. De quoi s’agit-il ? Le candidat se prépare et s’inscrit au niveau de son choix (A1, A2, B1, B2, C1, et C2) ; il passe alors une épreuve dans chaque compétence : expressions orale et écrite, compréhensions orale et écrite. Chaque épreuve est notée sur 25 et le candidat doit obtenir au minimum 50 sur 100.

Maintenant : que penser de cette certification ? Je connais assez bien le sujet pour avoir corrigé ces examens depuis leur refonte.

Au delà de la pertinence ou de l’intérêt des sujets, qui passionnent toujours les professeurs (« Ah ! Ils ne se sont pas foulés ! Encore l’écologie ! », « La question est mal fichue ! », etc.), mais qui finalement sont secondaires, il peut être utile de discuter de la valeur du diplôme.

Pour commencer, je peux témoigner de l’obsession du CIEP pour faciliter l’obtention de ces certifications. A chaque session, les « éléments de langage », pour reprendre une expression à la mode, sont : « Ne notez pas trop sévèrement ! » De plus, plusieurs outils permettent de diminuer la pression évaluative. D’abord, le correcteur est invité à voir ce que le candidat peut faire en français et non pas ce qu’il ne peut pas faire, ce qui me semble honnête et légitime, mais n’en entraine pas moins une certaine clémence (il est plus facile d’enlever des points plutôt que de n’en pas donner). Suit une grille d’évaluation dont certaines sections sont si vagues qu’il est impossible de donner un minimum de points, à moins d’avoir devant soi un chimpanzé, et encore. Puis vient le nombre excessif de sections à évaluer (une dizaine pour les épreuves d’expression) : un candidat qui se présente aura difficilement moins de 0,5 dans chaque section, c’est à dire qu’il a déjà environ 5 points sans avoir encore rien fait. La notation se fait ensuite sur 25, ce qui est à mon avis la grande trouvaille du CIEP : nous sommes tous habitués à évaluer sur 20 et perdons nos repères quand nous passons sur 25. Enfin les notes des différentes compétences se compensent, à la condition d’obtenir au minimum 5 dans chacune (condition facile à remplir, nous venons de le voir). Un candidat peut donc par exemple obtenir son diplôme en ayant deux 5 et deux 20, ce qui n’est pas du tout un cas d’école. Que signifie, dans ces conditions, être titulaire d’un tel diplôme ?

Mais pourquoi faciliter autant l’obtention des diplômes ? On s’imagine mal le marché que représente celui des certifications en langue. A l’Institut français de Barcelone, où j’ai travaillé pendant 7 ans, 3 trois sessions d’examen sont organisées chaque année et celle de juin, la plus importante, réunit environ 2000 candidats. Quand on multiplie ce nombre par les frais d’inscription, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un petit pactole que les différentes entités se disputent d’ailleurs comme des chiffonniers (à Barcelone, par exemple, une partie des recettes est reversée au CIEP et à l’Institut de Madrid). Tout le monde en croque (professeurs compris), et tout le monde a intérêt à ce que les affaires marchent : comment mieux y parvenir qu’en facilitant l’obtention de ces diplômes ? Tous les candidats, ou presque, peuvent repartir avec une belle certification utile pour leur CV.

Mais cette certification soulève une autre question, d’ordre théorique celle-là, et de taille :

Comment, à l’heure où le C.E.C.R. fonde l’apprentissage des langues sur l’approche actionnelle dont on nous rebat les oreilles, comment peut-on justifier l’absence totale de tâche durant ces examens ?? D’autant plus que ce type de certification existe déjà !! Laquelle ? C’est ce que je vous propose de voir la prochaine fois !

Site du CIEP

La dimension interculturelle dans la pratique de classe

31 mai 2010 par Philippe Mijon 23 commentaires »

On pourrait définir rapidement l’interculturel par le résultat du frottement entre cultures lié à une mise en perspective. Les dimensions interculturelles dans ma pratique sont diverses et ont nécessairement évolué. Ce qui me semble intéressant est surtout qu’elles recoupent l’histoire de l’interculturalité (IC) et de sa place dans le FLE. De la même façon qu’une nouvelle méthodologie n’éclipse pas les précédentes et qu’à un moment donné toutes les méthodologies coexistent, il est évident qu’on peut aborder l’IC de différentes manières, qui correspondent aux différentes définitions de cette IC.

• L’interculturalité implicite
Le pari est que l’apprenant fera de lui-même le chemin de l’IC. Il s’agit donc d’un cours magistral où la culture de la langue d’apprentissage est « donnée » ; l’apprenant comparera ensuite, seul, sa propre culture à la nouvelle culture. C’est par exemple le parti pris de la méthode Alter Ego dans sa rubrique « Point culture ».
Pour aborder l’usage du tutoiement et du vouvoiement en France, il suffira ainsi de décrire les cercles sociaux dans lesquels Tu et Vous sont utilisés, de traiter leur histoire et leur évolution, etc.
Mais le danger est grand, sinon inévitable, que cet enseignement de l’IC ne se réduise à l’anecdote, au dépaysement, et en fin de compte, à l’exotisme. Peut-on alors réellement parler d’IC ?

• L’interculturalité explicite
Le principe est ici que l’IC est orchestrée par l’enseignant. Celui-ci organise un va-et-vient entre les croyances, les réalités de la culture d’apprentissage et celles de la culture maternelle. Pour aborder la question du tutoiement, le professeur questionne directement les apprenants: existe-t-il un usage similaire dans votre langue ? Comment, dans votre langue, parlez-vous à un étranger, un ami, un membre de votre famille ? etc.
Mais cette IC est souvent reléguée en fin de leçon (voir à ce sujet de nombreuses méthodes de langue, comme Français.com ou Objectif Express, pour n’en citer que deux). L’IC, dans ce cas-là, est le petit « plus » de la classe de langue, comme s’il ne s’agissait pas de FLE à proprement parler. Le sous-entendu évident de cette conception est que l’IC est optionnelle.

• L’interculturalité au centre du FLE
L’enseignement s’organise autour et pour l’IC. Celle-ci a une place centrale dans l’enseignement et n’est plus relayée en fin de leçon. Tout l’enseignement du FLE (compétence linguistique et compétence pragmatique) s’organise à partir de l’IC.
Pour reprendre notre exemple, c’est donc à partir du concept de tutoiement/vouvoiement et de leur usage que s’ordonne le cours et que seront abordés les désinences verbales, la phonétique, les liens entre code écrit et code oral, etc.

Le cours de FLE n’est plus ni un cours de langue, ni un cours sur ou de culture, ni même l’analyse contrastive de deux cultures, mais une découverte de soi-même et de l’autre, où ce qui prime et fonde l’IC est « la modestie intellectuelle », pour reprendre les mots de Camilleri (qui souligne la nécessité d’accepter l’autre non pas par condescendance ou obligation mais par «modestie intellectuelle»). Cette approche interculturelle peut bien sûr alterner avec d’autres approches comme l’approche actionnelle, qui oriente, elle, l’apprentissage vers le faire.

L’estime de soi en séance de travail phonétique : étude d’un cas.

18 mai 2010 par Philippe Mijon 12 commentaires »

A. Une étudiante (M.) à l’estime de soi affaiblie.

Cette année, une étudiante est « mauvaise », elle ne progresse pas : en micro-séquence de travail (voir Petit résumé des principes de la technique verbo-tonale à l’usage des néophytes), non seulement elle approche peu de l’énoncé 1 (ce qui est relativement normal, encore que, l’année passant, les étudiants progressent et s’en approchent de plus en plus), mais sa reproduction 2 n’est guère meilleure. Après mon évaluation gestuelle correspondant généralement à un « Ce n’est pas ça mais ce n’est pas grave et ça viendra », elle me sourit de plus en plus souvent en ayant l’air de dire : « Désolée, ce n’est pas mieux mais c’est tout ce que je peux faire ! ». Elle me devance parfois et me le « dit » avant même que je ne l’évalue (signe qu’elle a parfaitement intériorisé cette réputation d’infériorité).

Durant nos séances, son estime de soi est donc faible : M. ne se pense pas comme une personne de valeur. Mais l’estime de soi étant un besoin fondamental de l’être humain, elle adopte logiquement des stratégies, notamment la stratégie auto-handicapante, pour maintenir positive cette estime de soi affaiblie. Elle ne fait donc presque jamais le travail que je propose aux élèves en dehors de la classe (chacun a un lecteur de mp3, sur lequel j’enregistre ce que nous faisons en cours : dialogues, comptines, etc. et qu’il doit écouter et parfois mémoriser) ; elle «oublie» d’ailleurs assez souvent son lecteur, rendant ainsi impossible tout enregistrement ; elle arrive en retard à chaque séance. Cette stratégie auto-handicapante lui permet de se créer des obstacles et M. peut donc légitimement attribuer ses contre-performances en phonétique à des circonstances indépendantes de sa volonté.

En outre, elle évite de prendre à son compte la responsabilité de son échec (biais d’auto-complaisance) en me disant, même si c’est de manière non-verbale, que « c’est tout ce qu’elle peut faire », et qu’en somme, « elle n’est pas douée » pour la phonétique (explication interne et stable). Ces stratégies, si elles permettent à M. de garder l’estime de soi, diminuent d’autant plus ses performances et créent donc un cercle vicieux (plus ses performances diminuent, plus ces stratégies prennent le relais, et plus, alors, ses performances diminuent).

Cette faible estime de soi est de plus entretenue par une réputation d’infériorité dans la classe, dont je suis en partie responsable : les autres étudiants « s’en sortent », progressent, et elle est condamnée, par mes évaluations systématiques et systématiquement individualisantes, à être « mauvaise » : les étudiants dont l’infériorité est soulignée publiquement doutent de leurs capacités et diminuent leurs performances. De plus, en activant des réputations d’infériorité, les capacités d’attention de l’élève (et donc ses performances) baissent ; durant ces séances, cela était parfaitement observable puisque, à proprement parler, tout le travail consistait à « ouvrir ses oreilles ». Enfin, j’en arrivais à être persuadé qu’elle « n’y arriverait jamais », et Rosenthal et Jacobson ont montré que si des attentes positives favorisaient à augmenter les performances, des attentes négatives contribuaient à les diminuer (« effet Pygmalion »).

B. Quelques pistes pour remédier à cette situation.

Etant donné le nombre de facteurs qui généraient une baisse de performance (stratégies d’auto-protection, évaluations systématiques et systématiquement individualisantes et négatives, réputation d’infériorité, attentes négatives… ), il n’était pas facile de sortir de la situation.

Afin qu’elle prenne en charge ses contre-performances, j’aurais pourtant pu lui souligner qu’elles étaient directement liées à l’effort qu’elle produisait –ou plutôt qu’elle ne produisait pas- à la maison. Mais, estimant que les étudiants, des adultes, « savaient ce qu’ils faisaient », je n’ai pas pris la peine d’insister sur ce point. Bien sûr, je risquais alors de favoriser une autre stratégie d’auto-protection (biais d’attribution au génie) puisqu’il faut bien reconnaître que d’autres étudiants ne travaillaient guère plus chez eux mais progressaient. De toute manière, dans mes évaluations, j’aurais dû bien veiller à complimenter l’effort (et non la personne) ; je crois l’avoir fait mais n’en suis pas complètement sûr…

Un autre moyen consistait à diminuer la pression évaluative, très forte dans cette méthodologie : à chaque production suit une évaluation, qui se veut certes légère et détendue, mais qui n’en demeure pas moins une évaluation. Diminuer cette pression, c’est ce que j’ai parfois fait d’une certaine manière, mais mal : il m’est arrivé de ne plus évaluer M. pour ne pas répéter des « Ce n’est pas ça mais ça viendra et ce n’est pas grave » auxquels plus personne ne croyait, et cela, alors même que je continuais à évaluer systématiquement les autres. Je sentais bien, sur le moment, que ce n’était pas juste et qu’en quelque sorte je l’abandonnais, mais je ne pouvais réellement pas faire autrement, c’était plus fort que moi. Or les travaux en psychologie montrent précisément qu’entre une évaluation négative et l’absence d’évaluation le moindre mal est le premier. J’aurais pu suspendre l’évaluation pour tout le groupe, mais alors : comment justifier ce changement de règle de jeu instaurée dès les premières séances ? Sans doute en modifiant légèrement le type d’activité que je proposais en classe : nouveau jeu, nouvelles règles. C’était aussi l’occasion pour proposer une tâche plus simple permettant de renforcer positivement les performances de M. et de continuer le travail sur cette base. Des activités permettant d’évaluer le groupe dans son ensemble présentaient aussi l’avantage d’alléger la pression évaluative. J’aurais pu tout simplement travailler en micro-séquences non plus individuellement mais collectivement.

Petit résumé des principes de la technique verbo-tonale à l’usage des néophytes

4 mai 2010 par Philippe Mijon 47 commentaires »

La méthodologie verbo-tonale part de (ou : arrive à) plusieurs principes :

1. Il est normal que l’étudiant parle « mal » (c’est à dire qu’il a un accent) car il perçoit sa langue d’apprentissage par le prisme de sa langue maternelle (il est « sourd ») ; en séance de correction phonétique, le travail consiste donc à rendre l’étudiant sensible aux caractéristiques du français oral (prosodie : rythmes, pauses, intonations ; phonèmes).

2. Ce travail de sensibilisation à la réception est indissociable du travail en production : ces deux étapes sont en réalité deux co-actions qui s’influencent réciproquement (une personne sourde est par exemple muette).

3. À l’inverse d’autres types de méthodologies (comme la phonétique articulatoire par exemple) et pour des raisons dont je reparlerai dans un prochain billet, la technique verbo-tonale propose un travail non intellectualisé de la phonétique.

4. Le travail se fait toujours en contexte : nous travaillons donc à partir de dialogues et non à partir d’un corpus de mots/énoncés qui ne seraient pas situés dans une interaction verbale.

5. Pour des raisons faciles à comprendre mais également trop longues à expliquer ici, ce travail est long, lent, et il faut faire preuve d’une grande patience (patience de l’étudiant mais aussi patience du professeur).

6. En phonétique, plus le corps est engagé, plus il est facile de « bien » parler. Le professeur utilise donc au maximum son corps (corps tendu, relâché, association de sons à des gestes, frappement de mains, etc.). Il invite les élèves à le faire également mais ceci est optionnel : par manque de culture corporelle, le corps est souvent difficile à utiliser : timidité, sensation de ridicule, etc.

7. Plus encore que dans d’autres domaines de l’apprentissage (compétence d’expression écrite, compréhensions écrite et orale, etc.), le travail de la phonétique est un travail délicat parce qu’il engage totalement la personne : son identité et ses émotions. En effet, les manières de parler d’une personne, les rythmes, les intonations, les pauses, les sons qu’elle connaît et utilise sont ceux de sa langue maternelle et donc directement constitutifs de son identité : s’abandonner au travail phonétique est donc renoncer durant un temps au moins à « être soi-même ». Reproduire des sons ou des prosodies « bizarres » est aussi pour l’étudiant très déstabilisant et il faut en mesurer la grande charge émotive : sensation de ridicule, inconfort, ou au contraire : joie, drôlerie, etc.

Afin non seulement de présenter la méthode mais aussi de désamorcer tous les problèmes pouvant survenir durant le cours, cette rapide introduction est d’ailleurs faite aux étudiants durant la première séance.

Une micro-séquence de travail avec un étudiant se passe comme suit :
– Énoncé 1 (prof)
– Reproduction 1 (étudiant)
– Énoncé 2 (prof) : altération de l’énoncé 1 afin d’obtenir l’énoncé 1 ou du moins un énoncé voisin plus proche que la reproduction 1
– Reproduction 2 (étudiant)
– Évaluation (prof) par la gestuelle principalement.

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